Je verrai toujours vos visages : un film très fort à voir sur la justice restaurative
Je ne peux que vous conseiller d'aller voir le dernier film de Jeanne Herry : Je verrai toujours vos visages. Je l'ai trouvé bouleversant sur le plan humain et très juste dans toutes les dimensions psychologiques qu'il aborde : la force de l'empathie, le traumatisme psychique, les émotions, la culpabilité, la prise de conscience, l'anxiété, l'acceptation, etc.
Qu'est ce que la justice restaurative (réparatrice) en France ?
La justice restaurative (anciennement appelée réparatrice) a pour objectif de permettre un dialogue entre les victimes et les auteurs d'infractions pénales. Mise en oeuvre en France en Mars 2017, elle fait déjà ses preuves depuis plus de 20 ans au Canada.
Accompagnés par des bénévoles et des médiateurs, victimes et auteurs se rencontrent lorsqu'ils sont prêts avec un double objectif :
- aider la victime dans son processus de reconstruction, lui permettre d'exprimer son ressenti et d'obtenir des réponses.
- responsabiliser l'auteur de l'infraction, l'inciter à se mettre à la place de la victime afin de prévenir la récidive et de lui permettre une meilleure réintégration dans la société à l'issue de sa peine.
Les conséquences du traumatisme psychique
J'ai été impressionnée par la manière dont Jeanne Herry parvient avec justesse à rendre compte de l'impact d'une agression dans la vie des victimes et des raisons pour lesquelles cela peut faire trauma.
Le film montre bien à travers les différents dialogues comme un évènement qui dure très peu de temps peut avoir des conséquences dévastatrices par la suite :
- phobies sociales
- anxiété
- atteinte de l'estime de soi
- troubles du sommeil
- reviviscences traumatiques
- hypervigilance
- dépression
- culpabilité
- colère
- repli sur soi
- troubles alimentaires
Lors d'un évènement traumatique, la violence de l'évènement (physique ou psychologique) est telle que les ressources et les possibilités d'action de la personnes sont dépassées. C'est ce qui entraîne par la suite un sentiment intense de culpabilité et d'impuissance.
Ces ressentis émotionnels sont très bien illustrés dans le film. A travers les présentations des différents protagonistes, on voit combien ils sont toujours marqués plusieurs années après l'évènement.
J'ai retrouvé beaucoup de ce que me partagent les patients victimes d'agressions.
Agresseurs mais humains
Je crois qu'il s'agit du premier film que je vais voir où les agresseurs ont une vraie place et sont considérés en tant qu'êtres humains.
En tant que psychologue je rencontre régulièrement des patients dans le cadre d'une obligation de soins décidée par la justice. Tout l'enjeu est alors de leur faire prendre conscience de leurs actes sans pour autant les juger.
Le film de Jeanne Herry rend compte de manière très forte et émouvante d'un processus psychologique très puissant : la dissociation psychique. L'idée n'est pas de vous spoiler le film mais on voit comment les auteurs d'infraction se coupent de leurs ressentis émotionnels au moment des faits. S'y reconnecter est très violent pour eux mais c'est ce qui leur permet une prise de conscience dans le cadre du dispositif.
Ainsi, tout en condamnant le "c'est pas de ma faute", le film montre qu'il est parfois nécessaire pour les victimes de pouvoir entendre ce que les auteurs d'agressions ont a dire et inversement.
La force de l'empathie et du partage des émotions sont ici très présents. Ce sont de puissants leviers thérapeutiques.
Le film illustre bien que l'acceptation passe aussi d'abord par la compréhension de ce qui s'est passé.
Un film qui rend compte de la difficulté du métier
Un dernier aspect m'a beaucoup émue dans ce film. Il s'agit du travail qu'implique la justice restaurative.
Le travail autour des victimes et de leurs agresseurs est essentiel mais il est aussi difficile et ne s'improvise pas. Le film s'ouvre d'ailleurs sur la formation des professionnels sous forme de jeux de rôles. A nouveau, très proche de la réalité puisque les jeux de rôles ont été et restent centraux lors de nos formations.
Accompagner des humains face à leurs difficultés et leurs traumatismes c'est aussi s'impliquer et s'engager en tant que personne. Il faut aussi savoir accepter que cela ne fonctionnera pas à chaque fois.
Le film illustre bien que lorsqu'on ferme la porte tout ne disparaît pas et que cela peut être difficile à vivre. C'est la raison pour laquelle il est très important de continuer à se former et à échanger avec d'autres collègues/bénévoles.
"Certains diront que vous avez fait de la magie, vous vous saurez que c'est du travail, non de la magie !"
Je verrai toujours vos visages, 2023